Interview de Monsieur Jean-Pierre Roth sur l’actualité économique internationale.
Forum Suisse de Politique Internationale
Interview de Monsieur Jean-Pierre Roth sur l’actualité économique internationale.
Monsieur Jean-Pierre Roth, anc. Président Banque nationale suisse et anc. Président BCGE, était au Forum suisse de politique internationale le jeudi 4 octobre 2018 pour une conférence intitulée Crise financière de 2008 en Suisse : un exemple de coopération internationale fructueuse ? Nous en avons profité pour lui poser quelques questions sur l’actualité économique internationale.
FSPI : Suite au chaos provoqué par la crise des subprimes, les banques centrales ont été contraintes de coopérer face à la volatilité des marchés financiers. Rétrospectivement parlant, ont-elles effectivement bien réagi et mis en place des mécanismes de coopération durable adéquats (notamment Forum de stabilité financière où vous aviez représenté la Suisse) ?
Jean-Pierre Roth : La réaction immédiate a été adéquate : préserver le fonctionnement du marché interbancaire en l’alimentant suffisamment en liquidités. Ensuite il s’est agi de réformer la réglementation bancaire, de renforcer la capitalisation des banques et d’encadrer leur gestion des risques. Dans tous ces domaines, des progrès importants ont été réalisés grâce, entre autres, à une coopération internationale plus poussée.
FSPI : Est-ce que le principe du Too Big to Fail à la lumière du sauvetage de l’UBS par le gouvernement suisse en 2008 a bel et bien vécu ?
Jean-Pierre Roth : Non. Le Too Big to Fail est maintenant une réalité institutionnelle qui entraîne des mesures prudentielles particulières. La stratégie est placée sur la prévention pour éviter qu’un cas UBS se représente.
FSPI : Suite à la crise financière de 2008, les banques centrales dont la BNS ont dû suivre une politique dite non conventionnelle, devenant ainsi parmi les principaux acteurs de la politique économique. Est-ce qu’à cet égard la stratégie choisie par la communauté internationale est vraiment durable ?
Jean-Pierre Roth : Par définition, le non-conventionnel ne devrait pas durer. Par non-conventionnel on entend des taux zéro, voire négatifs, des limites artificielles d’intervention sur les marchés des changes ou une extension inhabituelle des liquidités. Toutes ces mesures, si elles deviennent durables, ne tardent pas à engendrer des bulles et des distorsions qui, lorsqu’elles doivent être corrigées, entraînent des coûts importants. Les situations que nous connaissons aujourd’hui ne sont donc pas durables.
FSPI : Après l’abandon du taux plancher et avec la montée des taux, déjà entamée aux Etats-Unis et vraisemblablement en Europe également au cours des prochains mois, la BNS aura-elle encore une certaine marge de manoeuvre ou sera-t-elle contrainte de suivre les politiques monétaires des principales banques centrales ?
Jean-Pierre Roth : En fait la Suisse est en avance sur le cycle européen. Sa conjoncture est meilleure que celle des pays voisins. Une normalisation des politiques monétaires à l’étranger redonnera à la BNS la marge de manoeuvre dont elle doit disposer pour mener une politique monétaire indépendante.
FSPI : Le Royaume-Uni est depuis longtemps un partenaire économique très important de la Suisse. Jusqu’à maintenant, avez-vous constaté des effets des négociations du « Brexit » sur l’économie Suisse ?
Jean-Pierre Roth : Je ne vois pas d’effets directs mais je pense que le type d’accord qui sera, ou ne sera pas trouvé entre l’UE et le Royaume-Uni aura un impact sur la nature des relations bilatérales entre la Suisse et l’Union Européenne.
FSPI : La sortie du Royaume-Uni de l’UE aura des effets directs et indirects sur la Suisse. Par exemple, le Brexit va nuire à l’économie allemande, ce qui aura par extension des conséquences sur le commerce entre la Suisse et l’Allemagne. Quels seront à votre avis les impacts les plus importants après la date butoir de mars 2019 ?
J-P R : Personne n’est en mesure d’estimer l’impact du Brexit sur les économies européennes. La chance de la Suisse est d’avoir un commerce extérieur plus mondialisé que la plupart des pays européens. Ses risques sont donc mieux distribués.
FSPI : Est-ce que vous avez des inquiétudes par rapport à la valeur du franc suisse ?
J-P R : en période de turbulences en Europe, il y a toujours des risques d’appréciation du franc suisse.
FSPI : On constate aujourd’hui une augmentation des tensions dans le commerce international, notamment entre les États Unis et la Chine, et les États Unis et l’UE. Ces tensions engendrent un risque pour la Suisse et son économie basée sur les exportations. Or jusqu’ici, les exportations continuent d’augmenter et ne semblent pas affectées ; les entreprises suisses continuent à investir. Pensez-vous que la Suisse peut continuer sur cette voie même si les tensions internationales se dégradent ?
J-P R : Nous n’avons pas d’autre choix que de poursuivre notre stratégie globale. Effectivement si le commerce international devait se ralentir du fait de tensions commerciales, notre pays pourrait en souffrir. Notre effort doit donc porter sur les avancées technologiques et la qualité de nos produits afin de mieux résister que la concurrence à un fléchissement de la demande mondiale.