Interview de Christian Dussey, Directeur du GCSP.

Christian Dussey
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Interview de Monsieur l’Ambassadeur Christian Dussey, Directeur du GCSP, le 20 janvier 2020.

FSPI : Le GCSP célèbre ses 25 ans d’existence en 2020. Pourriez-vous rappeler les évènements liés à sa création, ses objectifs ainsi que son évolution face aux mutations d’un monde bien différent de celui de 1995 ?
Christian Dussey : Le Centre de Genève pour la politique de sécurité (GCSP) est une fondation internationale créée en 1995 à l’initiative de l’ancien Conseiller fédéral Adolf Ogi. Il est une contribution importante de la Suisse à la paix dans le monde. Supervisée par un Conseil de fondation composé de 52 États, son mandat est de promouvoir la paix, la sécurité et la coopération internationale, par la formation, la facilitation de dialogues diplomatiques, la recherche appliquée et le soutien aux projets innovants.
Depuis 25 ans, le GCSP fournit aux décideurs actuels et futurs les outils nécessaires pour mieux appréhender et gérer la complexité des affaires stratégiques et internationales. Situé à la Maison de la paix, le Centre offre plus de 80 formations par an animées par plus de 1000 experts et praticiens. Chaque année, il accueille près de 1300 participants provenant de plus de 167 pays. Grâce à son réseau de 8’400 anciens participants occupant des positions d’influence, il bénéficie d’un accès privilégié à des décideurs du monde entier.
FSPI : Le GCSP, conjuguant formation, recherche et dialogue sur les questions de paix et de sécurité, cherche à former les décideurs de demain. Quelles sont selon vous les qualités requises pour faire face aux menaces sécuritaires grandissantes ?
Christian Dussey : Dans un monde marqué par une complexité croissante, une forte interdépendance, de nombreuses menaces et défis géopolitiques et sécuritaires ainsi qu’une vulnérabilité croissante des nations et des institutions, une série de compétences et d’attitudes sont devenues essentielles pour les acteurs travaillant au service de la paix et de la sécurité.
  • La nécessité de bien comprendre son environnement, ses partenaires, leur processus de décision, leur histoire, leur culture, afin d’être à même de briser les silos et créer des ponts.
  • Le besoin de développer ses capacités d’anticipation, d’adaptation et son degré d’agilité
  • L’obligation d’accroître son sens de l’imagination, ses aptitudes à la créativité et sa curiosité
  • La nécessité de développer ses capacités de résilience personnelles et celles des organisations.
  • Et finalement de cultiver tant au plan individuel qu’organisationnel ce que l’on appelle en anglais la learning agility qui sert de socle à tous les points précités.
FSPI : De par les mutations de plus en plus rapides de la sphère internationale, le défi posé aux décideurs politiques réside en leur capacité d’anticipation face aux risques nouveaux. En quoi le GCSP est-t-il selon vous à la hauteur de sa devise : « Shape the solution, don’t fight the problem » ?
Christian Dussey : Notre philosophie au GCSP est « Ne pas combattre le problème – mais façonner la solution. »
Nous vivons dans un monde fortement interconnecté et marqué par de profondes transformations. Les changements se produisent à la fois progressivement et brusquement, à différents niveaux et dans plusieurs sphères. Relever ces défis exige une pensée critique, de l’imagination, des compétences novatrices en résolution de problèmes et une solide connaissance de l’environnement international contemporain.
Au GCSP, nous aidons les décideurs à dresser un tableau général de ce qui se passe réellement aujourd’hui et des implications qu’il pourrait y avoir à l’avenir, découvrir les subtilités de la géopolitique, développer des compétences nouvelles telles que celles nécessaires à un leadership inclusif, et finalement acquérir de nouveaux outils créatifs pour les aider à faire une analyse approfondie d’une situation donnée.
FSPI : Chaque année, le GCSP décerne son prix pour l’innovation dans le domaine de la sécurité globale. Pourriez-vous nous présenter les projets de quelques anciens lauréats et exposer leur contribution aux efforts de paix dans le monde ?
Christian Dussey : Le Prix du GCSP pour l’innovation en sécurité globale a été créé en 2015 pour récompenser les projets innovants ayant un fort impact potentiel sur la sécurité et à la paix dans le monde. Le nombre de candidature a fortement augmenté depuis sa première édition, passant de 65 candidatures en 2015 à 181 en 2019, provenant de plus de 60 pays repartis sur les cinq continents. Au cours des cinq dernières éditions, nous avons eu l’honneur de récompenser des projets remarquables, couvrant des domaines et des formats variés.
L’édition la plus récente du Prix a récompensé un projet œuvrant contre les mines terrestres, présenté par Bounty d.o.o., une organisation croate. Le projet, Minefields.info, consiste en une application mobile qui avertit l’utilisateur des dangers imminents lorsqu’il s’approche d’une zone soupçonnée d’être un champ de mines. L’application fonctionne en ligne et hors ligne et a le potentiel de sauver des milliers de vies. Cette application est d’ores et déjà disponible dans des pays sortant d’un conflit, confrontés aux conséquences dévastatrices des mines terrestres.
Au cours des années passées, le Prix a été décerné à une application mobile créée par l’Association internationale du barreau (eyeWitness to atrocities), dont le but est de lutter contre l’impunité en temps de guerre en fournissant à ses utilisateurs des moyens de preuves sans équivoque. Le Prix a aussi récompensé EcoPeace, une organisation qui travaille au niveau local pour renforcer la coopération sur les questions liées à l’eau dans les régions fragiles et instables ainsi qu’un projet intitulé Clinical Decision Support Training Initiative, visant à améliorer la capacité des professionnels de santé pour leur permettre de mieux détecter et de mieux réagir aux urgences et aux pandémies.
FSPI : A titre personnel, vous êtes engagé à promouvoir l’égalité des genres comme « International Gender Champion ». En quoi les efforts d’inclusivité et de genre sont-ils indispensables à vos yeux dans les questions de sécurité ?
Christian Dussey : Nous vivons dans un monde interdépendant. Nous avons peut-être tracé des frontières idéologiques ou politiques, mais nous faisons partie d’un écosystème plus connecté que jamais. Si nous voulons faire face aux menaces à la sécurité du XXIe siècle auxquelles nous sommes confrontées, tant sur le plan environnemental qu’humain, nous devons combler les clivages politiques, sociaux et économiques.
Je suis convaincu que nous pouvons relever les défis auxquels nous sommes confrontés, avec de la créativité. Pour cela, nous avons besoin de voix diverses : hommes et femmes côte à côte, jeunes et seniors, ainsi que des représentants de communautés différentes qui sont touchées par l’insécurité. Pour être efficace, nos gouvernements, nos institutions tant dans le secteur public que privé doivent reconnaître les barrières structurelles que nous avons créées, les mentalités nuisibles qui conduisent à la domination, à l’exclusion ou à la marginalisation, et être inclusifs.
FSPI : La plateforme Global Fellowship Initiative constitue un réseau d’experts et de praticiens multidisciplinaire, multiculturel et multigénérationnel. Pourriez-vous nous donner quelques exemples de teams et/ou de leurs membres et pour quels types de gestion de conflits ils ont pu mettre leurs connaissances et expériences partagées à profit durant leur séjour au GCSP ?
Christian Dussey : Le GCSP invite plus de 1000 experts chaque année à participer à ces cours de formation, workshops et conférences. Ils font partie de notre vaste base de données qui compte plusieurs milliers de spécialistes et praticiens. Certains d’entre eux décident de rejoindre officiellement le GCSP pour une durée limitée, soit en tant que fellows (Executive-in-Residence ou Government Fellows). Ces experts et fellows tirent profit des différents échanges qu’ils entretiennent avec les autres membres de la communauté du GCSP. Ils sont actifs dans un grand nombre de régions délicates et travaillent sur les thèmes propres au GCSP. Grâce à l’expertise qu’ils ont acquise et/ou développée durant leur séjour au GCSP, ils amènent une réelle plus-value sur le terrain en matière, entre autres, de gestion de conflits. Inversement, grâce à leur expérience sur le terrain, ils amènent un bénéfice indéniable aux participants de nos formations dans le domaine de la paix et la sécurité. Ces experts et fellows sont principalement actifs sur la région des Grands Lacs en Afrique, la Syrie et le Proche Orient, le Moyen Orient, la Péninsule Coréenne et la sécurité en Europe.
FSPI : Le GCSP, comme peu d’endroit au monde s’y sont prêtés, a accueilli dans le passé des rencontres discrètes et informelles entre hauts responsables américains, sud-Coréens et nord-Coréens, bien avant les sommets entre Donald Trump et Kim Jong-un. Est-il concevable et faisable que ce format puisse être mené notamment sur la Syrie et le Golfe, en réunissant des représentants iraniens et américains, voire turcs, saoudiens et émiratis ? 
Christian Dussey : Les sommets des Chefs d’État ont une signification particulière pour nous au GCSP, car le Centre est en effet un produit direct du fameux sommet de Genève de novembre 1985, entre le Président des Etats-Unis d’Amérique, Ronald Reagan et le Secrétaire général de l’Union Soviétique, Mikhail Gorbatchev. Le GCSP et son prédécesseur, la série de cours SIPOLEX, ont été créés par le gouvernement suisse immédiatement après le Sommet pour renforcer l’expertise nationale et internationale dans le domaine du désarmement.
Dès sa création en 1995, le Centre a apporté sa contribution à la paix et à la stabilité en Europe et dans le reste du monde en donnant une chance à la diplomatie, en particulier en participant aux mesures de renforcement de la confiance entre adversaires et différentes parties aux conflits. Depuis 2012, nous organisons le « Processus de Zermatt » sur les problèmes de sécurité actuels dans la région du Pacifique Nord ainsi que le processus de « Chambésy » sur la sécurité en Europe. Nous sommes également très dans actifs, mais de manière plus discrète dans la crise syrienne. Le but de ces tables ronde est de faciliter les discussions ouvertes, informelles et de fond. Les mesures de confiance, telles que celles-ci, contribuent à éviter les malentendus, les interprétations erronées et les erreurs de calcul. Elles permettent également de rechercher et tester des solutions aux défis actuels.