Laurence Boisson de Chazournes, Professeure à l’Université de Genève, Directrice du Center for International Disputes Settlement (CIDS)

Laurence Boisson de Chazournes
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Conférence de Laurence Boisson de Chazournes, le 8 novembre 2021

Les défis du droit international contemporain : quelques observations

Qu’il me soit tout d’abord permis de rendre hommage à Thérèse Gastaut, à ses nombreuses qualités, notamment son inlassable volonté de réfléchir et analyser le monde des organisations internationales et transmettre ses connaissances.

Le thème de mon propos est vaste. Le droit international a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. Il s’est propagé, il s’est épaissi, il s’est diversifié. Cette note positive ne doit pas occulter le fait que le droit international fait aujourd’hui face à d’importants défis. Si la notion de défis pour le droit international n’est pas nouvelle – des défis, il y en a toujours eu -, il y a aujourd’hui des défis particuliers sur lesquels je me pencherai. Je les série en trois rubriques.

Il y a tout d’abord le défi relatif à l’effectivité du droit international. Ce que je vise sous le vocable d’effectivité, c’est la réalisation du respect du droit, le fait que le droit se traduise dans les faits. Il me semble que la question du respect du droit est soumise à des attaques auxquelles il faut parer. Le droit international exerce de multiples fonctions, qu’il s’agisse de l’édification d’un langage commun, de la fonction d’incitation à modifier son comportement ou d’harmonisation des bonnes pratiques. Mais la fonction la plus connue est celle de prescrire des droits et des obligations. Beaucoup de pans de la vie quotidienne sont régis par des prescriptions du droit international, qu’il s’agisse par exemple, du commerce international, des questions de trafic aérien ou de protection de la propriété intellectuelle. Cela vaut pour d’autres domaines d’activités, bien qu’en ces domaines le langage politique tente d’affaiblir les prescriptions concernées. Je pense aux droits de l’homme ou encore au droit international humanitaire. Jouer d’arguties quant au contenu d’une norme ou prétendre que l’on n’est pas lié par une obligation, n’anéantit pas la norme ni son existence. Les nombreux cas de pratiques de torture et la volonté par les autorités de contourner son interdiction en sont un exemple. Les différents juges qui ont à statuer sur cette question n’ont pas hésité à qualifier les agissements en question de violations et rappeler l’importance de la norme. De manière générale, la résilience des normes du droit international doit être soulignée. Celles-ci résistent malgré les assauts.

Afin d’assurer le respect de ces normes, des mécanismes ont été mis en place au cours des dernières décennies, que ce soit des mécanismes institutionnels, tels des organes de contrôle, des institutions judiciaires ou des mécanismes de pression initiés par la société civile. Ces mécanismes rencontrent des succès. Toutefois les jeux politiques marquent de leur empreinte ce terrain et parviennent à affaiblir le fonctionnement de certains de ces mécanismes. L’on pense aux diverses attaques contre les juridictions internationales et, par exemple, l’anéantissement temporaire de l’Organe d’appel de l’OMC. Les calculs politiques en ce domaine se réalisent au détriment des plus faibles. Des attaques contre la Cour pénale internationale et la non-coopération avec cette institution, ou encore le blocage du Conseil de sécurité par des vetos de part et d’autre, constituent d’autres exemples. Il me semble donc que l’un des défis est celui de préserver et consolider les moyens d’application du droit, ceux qui permettent aux divers acteurs de rendre des comptes. Nous faisons face à une vulnérabilité de ces institutions qu’il faut prendre en compte afin de rendre le respect du droit effectif.

Le deuxième défi tient à la lutte contre le repli sur soi-même ou sur son pré carré. Si chaque jour la coopération internationale apparaît encore plus nécessaire, qu’il s’agisse de la gestion de la pandémie de Covid-19 et de ses conséquences économiques et sociales, de la lutte contre les changements climatiques ou encore de la nécessité d’intégration économique, le droit international et les organisations internationales qui portent ce droit, font face à des mouvements de repli sur soi de différents types. Les raisons de ce repli sont multiples : déclassement économique et social de nombreuses couches de la population mondiale, stagnation pour d’autres, jeux politiques de manipulation de ces frustrations ou encore le sentiment de perte d’identité culturelle. Les avantages et bénéfices tirés de la coopération, les concepts de biens communs ou d’intérêts communs ne sont que peu mobilisateurs. Il y a une forme de désenchantement qui traverse les populations et leurs dirigeants. Les États sont sur leur garde et peu désireux de s’engager dans des cadres multilatéraux. Peu de traités multilatéraux ont été négociés au cours des dernières années. Dans ce contexte, le traité sur l’interdiction des armes nucléaires est en quelque sorte une exception, tout comme l’a été l’Accord de Paris sur les changements climatiques. Les instruments politiques sont alors privilégiés, mais eux aussi suscitent des craintes, si l’on pense au sort du Pacte de Marrakech sur les migrations.

L’un des défis pour le droit international contemporain est celui d’une remobilisation, d’une nouvelle énergie à la faveur d’un droit basé sur la coopération et la solidarité. Il y a un élément de confiance dans l’action internationale qui doit être restauré. Devrait-il être engagé autour d’un débat sur l’identification des valeurs collectives et internationales ? Il me semble que, dans ce contexte, la justice sociale revient en force, mais comment mieux la garantir à l’échelon international ? Sa signification doit notamment être élargie à l’accès aux ressources naturelles et à l’éducation.

Cette interrogation me permet d’aborder un troisième et dernier défi pour le droit international contemporain, à savoir celui de son ouverture à la participation de divers acteurs. Il n’est pas question de remettre en cause le rôle des États dans le façonnement du droit et sa mise en œuvre. Il s’agit de prendre en considération l’action d’autres acteurs, que ce soient des représentants du monde associatif ou du secteur de l’économie et leur volonté d’agir sur le plan international. Le Sommet de Glasgow sur les changements climatiques ont montré comment certains acteurs non étatiques s’engagent sur le plan international. Dans le cadre de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero, plus de 450 banques, assurances et gestionnaires d’actifs se sont engagés à décarboner leurs investissements afin de contribuer à la réalisation de l’un des objectifs de l’Accord de Paris, à savoir limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5°C. Certains instruments internationaux tentent de capter la volonté d’action d’acteurs non étatiques. L’Accord de Paris sur les changements climatiques ou encore l’Agenda pour le développement durable et ses 17 Objectifs du développement durable, adopté en 2015, en sont des exemples. Les États eux-mêmes reconnaissent qu’ils n’ont pas le monopole de l’action en ces domaines.

Si ces acteurs s’engagent, le droit international contemporain ne doit-il pas s’assurer de la crédibilité de leurs engagements ? Or, le droit international n’a pas les moyens de prendre ces acteurs à leurs mots et de leur demander de rendre des comptes. L’on parle d’engagements volontaires, mais n’y a-t-il pas un principe de bonne foi opposable à tous qui devrait faire découler de ces engagements des effets juridiques, et cela si des conditions agréées en matière de durabilité et d’équité sont respectées ? La même question se pose pour les partenariats public-privé. Ceux-ci essaiment, on parle de coopération pluri-parties à leur égard. Mais qui est responsable de quoi en droit international ? Les partenariats public-privé ne sont pas encore des objets identifiés par le droit international. Nous avons pour l’heure un système de légitimité politique reposant sur la souveraineté des États. Ne doit-il pas s’ouvrir pour faire place à d’autres formes de légitimité, mais encore faudrait-il en définir les termes.

Les trois défis que j’ai identifiés, à savoir l’effectivité, le réenchantement et la légitimité, sont liés les uns aux autres et méritent qu’on s’interroge à leur propos.