Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch, Directrice du Secrétariat d’État à l’économie de la Confédération suisse (SECO) de 2011 à 2022

FSPI : La politique économique extérieure d’un pays a pour objectif principal de défendre ses intérêts sur le front extérieur, tout en assurant la prospérité de sa population. Quels sont les principaux objectifs stratégiques que poursuit la politique de la Suisse pour relever les défis que posent les développements de la conjoncture économique mondiale et du commerce international ?

La politique économique extérieure de la Suisse vise à assurer un système commercial basé sur des règles ainsi que l’accès aux marchés étrangers pour nos entreprises. Pour la Suisse, le système commercial multilatéral de l’OMC est la base en ce qui concerne les règles commerciales applicables. Quant à l’accès aux marchés étrangers, les accords de libre-échange visent à assurer un accès préférentiel aux entreprises suisses. En ce qui concerne notre partenaire le plus important et le plus proche, l’Union Européenne, la Suisse poursuit une voie bilatérale avec la participation au marché intérieur de l’UE.

 

FSPI La prospérité de la Suisse et le maintien de la compétitivité de son économie sont assurément fortement tributaires des échanges internationaux. Quels sont selon vous les principaux fondamentaux de l’économie suisse qui lui permettent d’être souvent plus résiliente en cas de crise économique ou financière que celle de ses principaux partenaires commerciaux ?

Une de nos forces importantes sont les conditions-cadre que nous assurons depuis longtemps et qui nous ont très bien servis jusqu’à aujourd’hui. Pour n’en nommer que quelques-unes : notre système d’éducation avec la possibilité d’une formation professionnelle, notre marché du travail fluide, nos institutions stables et notre ouverture au marché international. Il faudra veiller à assurer nos conditions-cadre aussi dans le futur !

 

FSPI Pour relever les défis globaux, la Suisse fait, on le sait de l’approche multilatérale, notamment au sein de l’OMC, une priorité, tout en promouvant l’utilisation de normes internationales non-discriminatoires stimulant la concurrence et poursuivant les objectifs du développement durable. Dans le même temps, elle s’engage pleinement pour l’intégration des pays en développement et émergents dans l’économie mondiale.  Dans ce contexte, comment parvient-elle à concilier un certain protectionnisme de son agriculture avec la promotion de l’accès à son marché des produits agricoles étrangers ? De même, au prix de quelle concession arrive-t-elle à assurer la protection de ses brevets (notamment ceux de l’industrie pharmaceutique) tout en cherchant un accès facilité au secteur des services et aux investissements dans les pays émergents et en développement ?

Dans les accords conclus jusqu’à présent, nous avons réussi à trouver des solutions pour répondre aux demandes de nos partenaires en matière d’accès à nos marchés agricoles, en accordant un accès ciblé pour un nombre restreint de produits d’intérêt pour nous partenaires. Quant à la protection de la propriété intellectuelle, ces dernières années, un certain nombre de partenaires a aussi développé un intérêt pour une meilleure protection. Ces deux questions font partie des points discutés lors des négociations, qui incluent de nombreux autres points, notamment l’accès pour la Suisse aux marchés industriels de nos partenaires, l’inclusion des questions de durabilité dans les accords ou l’accès de nos partenaires à certains de nos marchés des services.

 

FSPI Trois ans après le début de la pandémie de COVID-19 et quelques mois après la fin de l’urgence sanitaire déclarée par l’OMS, quel est votre regard sur le rôle joué par la Suisse dans la gestion globale de la pandémie, notamment en ce qui concerne l’accès aux vaccins ? En juin 2022, vous avez représenté la Suisse lors des négociations sur les vaccins avec les pays de l’OMC, ce qui a abouti à la levée temporaire des brevets sur les vaccins contre la COVID-19. Cet accord a été qualifié de « compromis », mais il ne remet pas fondamentalement en question la position de la Suisse en matière de propriété intellectuelle et de transfert de technologie. Pensez-vous que le système commercial multilatéral est adapté à la gestion collective des pandémies futures, et estimez-vous que la Suisse aurait un rôle particulier à jouer ?

La Suisse a joué un rôle actif pendant la pandémie, en se prononçant contre des mesures de blocage de produits prises dans les premières semaines de la pandémie en mars et avril 2020, et en mettant ainsi l’accent sur le besoin de sauvegarder le fonctionnement du système commercial multilatéral. Je suis convaincue que le système commercial est adapté à la gestion de pandémies futures, car c’est bien grâce à ce système que nous n’avons finalement vu qu’un nombre restreint de décisions protectionnistes permanentes prises pendant la pandémie. La décision concernant les vaccins contre la COVID-19, qui prévoit plus de flexibilité pour des licences obligatoires, fut une décision qui à mon avis risque de donner un faux signal aux entreprises innovatrices. Mais ce fut un compromis acceptable pour la Suisse afin d’assurer le succès de la Ministérielle de l’OMC de juin 2022.

 

FSPI Le climat était l’un des axes principaux de la stratégie de la coopération internationale de la Suisse pour la période 2021-2024. Comment envisagez-vous le rôle de la diplomatie économique suisse dans la préparation à la résilience des sociétés et des économies du Sud, face notamment aux changements climatiques ? Quels défis et opportunités identifiez-vous à cet égard pour la Suisse, en particulier en ce qui concerne la coopération économique en matière de développement durable, et la collaboration avec les institutions financières internationales et le secteur privé ?

La coopération économique de la Suisse vise, entre autres, à aider les pays du Sud à faire face aux changements climatiques. Ainsi, le Conseil fédéral avait prévu une enveloppe financière spécifique pour ce type de projets de développement pour la période 2021-2024. Le projet du Conseil fédéral pour la période 2025-2027, qui est en consultation, prévoit également une telle enveloppe financière. Je suis convaincue que la Suisse est bien placée pour aider les pays du Sud dans leur développement économique. Vu les besoins énormes de soutien économique dans le monde, la collaboration avec les institutions financières internationales ainsi que le secteur privé sont une nécessité.

 

FSPI Est-ce que le contexte géopolitique actuel, notamment avec le déclenchement de la guerre en Ukraine — et les sanctions qui y ont fait suite, mais également l’importance croissante et l’élargissement en vue des pays BRICS, ou encore les vives tensions commerciales sino-américaines, rendent plus difficiles l’harmonisation et la mise en cohérence des politiques économiques de la Suisse avec sa politique étrangère au sens large ?

Les développements des dernières années posent des défis particuliers au niveau de politique économique ainsi que de politique extérieure. Un monde multipolaire en changement continu et une économie mondiale de plus en plus fragmentée mettent une pression forte sur le multilatéralisme si cher à la Suisse. Nous devons veiller à rester fidèles à nos valeurs occidentales et européennes, tout en assurant nos relations économiques avec les grands marchés mondiaux. En même temps, afin de promouvoir nos intérêts, nous devons former des coalitions avec des pays qui partagent ces intérêts, afin de les promouvoir au niveau international.