Interview de Jean Russotto, avocat suisse basé à Bruxelles dans le cadre de sa venue au FSPI en novembre 2023 et de sa présentation : « La relation Suisse-UE : À la recherche du temps perdu ». 

 

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Après l’échec des négociations sur l’accord-cadre en 2021, la récente démission en début de cette année de Livia Leu (Secrétaire d’État aux Affaires étrangères et négociatrice en chef dans le dossier européen) on aurait pu penser les négociations entre la Suisse et l’Union Européenne au point mort. Pourtant, le Conseil fédéral a tout juste annoncé la fin des pourparlers exploratoires avec l’Union européenne et l’adoption d’un projet de mandat de négociation, tandis que le Président Macron a effectué une visite très remarquée en Suisse ce mois de novembre. Le sentiment d’impasse était-il une fausse impression ou la situation a-t-elle réellement changé ?

Je dirais que l’impasse était bien réelle, tant les positions divergeaient. Après un véritable point mort, la Suisse est passée par des étapes institutionnelles et autres considérables, sans avoir l’assurance que l’UE approuverait la nouvelle approche par paquets. Mais bien plus, la Suisse n’était pas certaine d’avoir le soutien des corps constitués et de la population. D’où la complète absence d’une argumentation, d’une vision de la relation Suisse-UE et de son avenir. Cependant, l’adoption d’un mandat de négociation est vue. L’entrée en vigueur d’un nouvel accord, plus précisément un jeu d’accords, n’est pas encore prédictible.

 

La question européenne a été relativement absente de la campagne des récentes élections fédérales. Comment expliquez-vous l’absence de la question européenne dans le débat public en Suisse aujourd’hui ? Y a-t-il une dépolitisation stratégique de cet enjeu ? Est-ce que le résultat des élections, avec l’UDC en progrès comme premier parti de Suisse, risque d’avoir un impact sur le processus de négociation à venir ?

Le désintérêt à l’égard de la politique européenne pendant la campagne électorale s’explique simplement par un constat avéré : l’UE ne permet que rarement de gagner des voix. La préoccupation des électeurs est ailleurs, sur des thèmes quotidiens, tels les coûts de santé, la sécurité et l’immigration. Réflexe compréhensible, mais qui met en évidence que ces soucis concrets sont détachés de l’UE, de ses objectifs – et qu’en réalité, ils sont également la réalité du marché intérieur de l’UE, notre premier partenaire économique. Dichotomie désolante.

 

Le Royaume-Uni a récemment réintégré le programme de recherche et d’innovation Horizon Europe — dont la Suisse est exclue depuis la fin des négociations sur l’accord-cadre. Pensez-vous que le Brexit – et de façon générale les relations Royaume-Uni – UE post-Brexit, ont eu des conséquences sur les négociations entre la Suisse et l’Europe ou sur la perception mutuelle entre les deux parties ?

La Suisse a mis longtemps à conclure que le soi-disant modèle britannique, post-Brexit pouvait venir au secours d’une nouvelle politique européenne de la Suisse. Le constat d’échec du Brexit, suivi d’un possible retour du Royaume-Uni au sein des programmes Horizon a été un retour à la réalité : les seuls liens structures Et pérennes pour la suisse en Europe passent par une association étroite avec l’UE. Aucune autre solution n’existe.

 

Les multiples crises auxquelles a été confrontée l’Europe depuis sa création furent souvent des facteurs d’une plus grande intégration. Pensez-vous que les récentes crises et bouleversements mondiaux – que ce soit la COVID-19 ou le déclenchement de la guerre en Ukraine, ont eu un impact sur la relation Suisse-Europe ?

Sans aucun doute, ces divers événements et crises ont marqué les esprits en suisse, et au-delà ont consolidé l’idée que la Suisse doit demeurer solidaire, à tous niveaux, dans une Europe qui se remet en question fondamentalement.

 

En tant qu’avocat suisse basé à Bruxelles, comment envisagez-vous l’avenir de la relation Suisse-Europe ? Vous avez intitulé votre présentation au FSPI « La relation Suisse-Europe : À la recherche du temps perdu » : pensez-vous donc que les deux parties se dirigent désormais vers une approche plus « pragmatique » et de facto vers un dépassement des points de divergence, dépassement attendu par certains depuis longtemps ?

Oui, le titre de la conférence signifie que l’immense temps perdu par la Suisse, pendant près de 15 ans, n’a pas été entièrement perdu. Ce temps n’est cependant pas encore retrouvé, mais tout laisse à croire qu’une nouvelle politique suisse est en place, pour quand, nul ne le sait, mais les présages sont positifs. Qui va piano va sano, mais ne pas tomber dans le piège du perfectionnisme, car le temps passe et le bilatéralisme sectoriel ne doit pas s’éroder davantage.