Interview of Scott Weber, Président de Interpeace.

Scott Weber
Télécharger le PDF

Interview de Monsieur Scott Weber, Président de Interpeace, le 20 janvier 2020.

FSPI : L’organisation que vous dirigez, Interpeace, a été créée 1994. Voilà maintenant plus de 25 ans que votre organisation s’est engagée dans les processus de paix. Pouvez-vous nous détailler votre mission, et en quoi elle se distingue des nombreuses autres ONG actives à Genève en matière de paix et sécurité ?

Scott Weber : Interpeace estime depuis son lancement qu’une paix durable ne peut être atteinte que si l’ensemble des acteurs sont associés et qu’une confiance peut être établie entre eux pour œuvrer à une société résiliente. Notre organisation a développé une approche dite de « Track 6 » pour chercher à faire dialoguer en permanence non seulement les dirigeants habituellement autour d’une table de négociations (Track 1), mais aussi les leaders d’opinion et la société civile (Track 2) et les communautés affectées par un conflit (Track 3). Ce lien 1+2+3 reflète cette combinaison à atteindre entre eux. Nous croyons fermement que les priorités de la population doivent être écoutées. Interpeace facilite des processus participatifs et, plutôt que d’imposer une série de solutions toutes faites, est convaincue de l’importance d’étendre les capacités locales et nationales pour que les communautés affectées soient elles-mêmes actrices du changement. Autant d’ingrédients qui contribuent à faire émerger des sociétés résilientes pour éviter un basculement ou un retour à la violence. Nous portons ces principes sur le terrain mais aussi dans le débat politique sur la consolidation de la paix parmi les décideurs internationaux.

FSPI : Interpeace a pour but de renforcer la capacité des sociétés à gérer les conflits d’une manière pacifique, non-coercitive et d’assister la communauté internationale, en particulier l’ONU lorsqu’elle œuvre à la consolidation de la paix. Quels sont les processus de paix auxquels votre organisation a pu contribuer de manière la plus déterminante au cours de ces dernières années ?

Scott Weber : Nous sommes présents dans plus de 20 contextes, dont beaucoup se trouvent en Afrique, continent qui abrite le plus grand nombre de conflits actuellement. Nous avons notamment lancé, avec notre partenaire Never Again Rwanda (NAR), des thérapies collectives au Rwanda pour panser les blessures mentales après le génocide et restaurer le tissu social de ce pays. Cette question a été trop longtemps oubliée dans les conflits et prend de l’importance depuis quelques années. Parmi d’autres exemples, nous œuvrons également en Côte d’Ivoire, en Somalie, en République démocratique du Congo (RDC) ou encore au Mali.

FSPI : Vous relevez comme beaucoup d’experts en promotion de la paix et de la sécurité que les enceintes internationales issues de la Seconde Guerre mondiale ne sont pas adaptées au monde actuel. En libéral convaincu, vous estimez que les solutions innovantes sont à rechercher auprès du secteur privé en l’impliquant davantage en faveur de la paix. A cet égard, comment évaluez-vous l’apport du World Economic Forum dont vous êtres un des young global leaders depuis 2009 ?

Scott Weber : Le secteur privé doit faire sa part dans la société et il est entièrement partie prenante de l’approche « Track 6 » que nous défendons. De son côté, le Forum économique mondial (WEF) a multiplié ces dernières années les initiatives, avec lui mais aussi avec les gouvernements, pour mettre en lien différents acteurs dans des zones confrontées à des conflits ou à la montée d’un climat de tensions. Nous pouvons mentionner notamment les efforts dans les Balkans. Ou en Afrique, pour laquelle une nouvelle plateforme de consolidation de la paix, à laquelle j’ai l’honneur d’être associé, vient d’être lancée.

FSPI : Alors que l’approche sécuritaire ne semble pas avoir contribué de manière déterminante jusqu’ici au rétablissement d’une paix durable en République démocratique du Congo et que la force de maintien de la paix des Nations Unies (Monusco) a bien de la peine à contrôler la plus grande partie du territoire, quelle est l’approche préconisée par Interpeace pour restaurer la paix en RDC ?

Scott Weber : Encore une fois, la paix durable ne pourra pas se faire si la réponse ne vient que d’un dispositif sécuritaire porté par les autorités ou un acteur international. La solution viendra des communautés. Nous aidons à rapprocher ces différentes composantes en facilitant les conditions d’un dialogue entre elles. Le contexte est également fragilisé par l’épidémie d’Ebola dans certaines régions. Là aussi, nous avons appuyé les organisations en charge de la réponse internationale à réfléchir à comment mieux prendre en compte les attentes et les capacités locales.

FSPI : La Suisse s’engage en faveur du traitement du passé dans le cadre de la promotion de la paix, tout en favorisant la réconciliation après de graves violations des droits de l’homme ou du droit international humanitaire. C’est dans cet esprit qu’elle a soutenu l’engagement d’Interpeace au Rwanda où la réconciliation entre ethnies après le génocide des Tutsis au début des années 1990 a été rendue très compliquée par les gouvernements successifs qui ont instrumentalisé la question ethnique pour diviser. Quelle contribution effective votre organisation a pu lui apporter et quels résultats avez-vous pu obtenir ?

Scott Weber : Comme expliqué auparavant, nous avons mis l’accent sur les efforts collectifs pour améliorer la santé mentale des Rwandais en nous appuyant sur un dialogue participatif. Après les atrocités d’il y a 25 ans, les niveaux de traumatismes ont été considérables pour la société et en particulier pour les rescapés. Des études plus récentes ont montré que ce problème subsiste et paralyse la résilience au sein de ce pays. Beaucoup de Rwandais n’arrivaient pas à parler du génocide. Les mécanismes participatifs que nous avons lancés avec Never Again Rwanda (NAR) ont donné une plateforme à ces personnes. Selon l’évaluation après la première phase de notre projet, les effets des traumatismes ont pu être diminués de 25%. Il faut encore aller plus loin.

FSPI : Vous êtes critique de la manière dont la Genève internationale fonctionne, trop en silos encore selon votre analyse. La mise en œuvre des Objectifs du développement durable qui illustrent bien l’interconnexion des problèmes n’était-elle pas une aubaine pour la Genève internationale qui a pour ambition de mettre en place une meilleure gouvernance, plus transversale ?

Scott Weber : C’est le message que nous tentons de relayer. Les partenariats entre plusieurs composantes sont indispensables pour apporter une réponse plus adaptée aux défis actuels et aux attentes des populations. Les écosystèmes sont désormais plus nombreux au sein de la Genève internationale sur certaines questions liées aux ODD. Mais trop d’acteurs sont encore réticents à sortir de leurs habitudes. Il ne suffit plus de prendre seulement en compte les principes de précaution (« do no harm »). Toutes les institutions qui apportent une assistance dans des zones affectées par un conflit ou dans des contextes fragiles doivent planifier et mener leurs interventions avec la volonté de contribuer à des avancées vers une paix durable (« peace responsiveness »). Pour obtenir un impact plus important, nous plaidons pour une amélioration du lien entre organisations du « triple nexus » (humanitaire et développement et consolidation de la paix) qui travaillent sur des problèmes similaires. Sur cette question, l’écosystème genevois offre des possibilités. Interpeace a établi des partenariats avec de nombreuses organisations pour les aider à s’adapter à cette approche.

FSPI : Interpeace est co-fondatrice des Peace Talks annuels et dont la dernière édition a eu lieu en décembre 2019 à New York sur le thème de « Trust Matters ». Pouvez-vous détaillez en quoi consiste cette initiative ? Quel est le rôle que la société civile y joue ?

Scott Weber : Les Peace Talks sont une initiative globale avec comme objectif d’élargir la discussion sur la consolidation de la paix. Ce format doit permettre de montrer que la paix est possible, et inspirer le public pour qu’il devienne actif. Des profils très différents (faiseurs de paix au niveau communautaire comme dirigeants ou hommes d’affaires, jeunes ou moins jeunes, venant de tous les continents) sont conviés à venir raconter leur expérience personnelle en termes de consolidation de la paix pendant quelques minutes. Cette plateforme montre que chacun peut contribuer, souvent par de simples actions, à la paix dans sa communauté et plus largement que dans celle-ci.